Avant d'être celle que l'on connaît aujourd'hui, Merphis était une humaine. Eh ouais, c'est bien difficile d'y croire, vu la tête qu'elle possède maintenant. Elle aurait toujours été la même si elle n'avait pas fait cette fameuse "erreur" qui n'a fait qu'empirer sa vie. Enfin bref.

La demoiselle est née il y a bien longtemps de cela, trente-deux ans pour être plus exact. Elle vivait en Espagne, d'une famille aux revenus convenables. Elle ne manquait de rien, ses parents non plus. Ils s'étaient rencontrés sur la route, qui aurait cru que la femme qu'il recueillit alors qu'elle faisait du stop serait sa femme qu'il aime toujours autant? C'était improbable, et pourtant, voilà où il en est: heureux, marié avec une magnifique petite enfant née de leur union. La petite Merphis fut élevée dans un nid d'amour et d'attention. Elle était des plus sage, jamais il ne lui passait par la tête d'aller faire des bêtises dans la rue envers tout et n'importe quoi. Elle était bien élevée.

Sa vie a l'école semblait tout aussi mémorable. Grâce à ses beaux yeux verts, elle charmait plus d'un garçon, et elle rougissait à la moindre belle remarque. C'était une petite fille sensible et agréable, qui ne voulait de mal à personne. En fait, elle suivait le chemin de sa vie docilement, sans même se douter que les problèmes de la vie quotidienne pouvaient exister et intervenir en tant qu'obstacle de temps en temps. Mine de rien, elle les franchissaient sans vraiment s'en rendre compte, c'était la petite fille exemplaire à ses parents qui la voyaient déjà dans les plus grands métiers du monde, à conquérir de nombreuses nations grâce à ses innovations.

Adolescente, elle commençait à forger son caractère. C'était une demoiselle assez énergique qui fallait épuiser sous peine de passer une nuit d'enfer a l'entendre dévaler les escaliers de la maison à cause de ses insomnies. Et pourtant elle suivait toujours le chemin de sa vie qui fut dicté par ses propres parents. Ils ne voulaient que son bien, mais ne pensaient pas qu'elle voudrait peut-être faire autre chose qu'ingénieur ou on ne sait quel métier qui leur passait pas la tête. C'est ainsi qu'elle commença à s'engueuler avec ses parents. Leur relation fut un peu moins fusionnelle sur le coup, mais ce n'était que passager. Il n'empêche que les parents durent se plier aux exigences de leur petite fille adorée, un peu par peur de la voir malheureuse dans ses années loin du nid parental.

Ainsi, elle fit de grandes études pour devenir cuisinière. Depuis toute petite, elle avait une sorte de sens artistique et culinaire qui faisait qu'elle était capable de préparer de beaux et bons petits plats à ses parents qui vieillissaient trop vite à son goût. Elle partit donc bien vite de ce petit confort qu'elle possédait pour aller travailler en France. Une fois bien installée, elle commença à chercher du travail, comme tout adulte qui se respecte. Elle trouva un petit boulot dans un restaurant peu connu. Sa patronne, au début, l'adorait aussi bien pour ses compétences que son caractère bien trempé. Mais, au fil du temps, elle fit de plus en plus d'erreurs. Des erreurs qui ne se voyaient pas en salle, certes, mais en cuisine, l'ambiance semblait plus lourde et moins joyeuse qu'avant. C'est donc par pur instinct que Merphis décida de démissionner. Entre temps, elle trouva l'amour une fois, deux fois, et la troisième fut la bonne. Elle adorait cet homme, voulait faire sa vie avec.

Ainsi, elle vécut quelque temps à ses côtés, bien blottie dans sa bulle mais surtout à l'abri de la pauvreté. Elle était avide d'argent et de pouvoir, mais ne voulait plus travailler pour autant. Elle s'intéressa tout de même à la végétation et aux odeurs des produits qu'elle achetait tous les jours; elle aussi voulait créer ce genre de choses. Alors elle prit en main son désir et retourna faire des études de chimie, cette fois-ci. Mais elle dut bien vite interrompre son parcours déjà avancé, car elle attendait un enfant. Elle n'était ni trop jeune, ni trop vieille. En plus, le couple avait déjà réfléchi à la possibilité d'accueillir une troisième personne dans cette maison bien trop vide.

Sauf que, très vite, son corps refusa catégoriquement de laisser son bambin se développer d'avantage. Elle perdit donc ce dont elle avait toujours rêvé ou presque, au grand désespoir du père. Tous deux furent choqués, et après de nombreux tests, leur union semblait ne pas être compatible pour pouvoir faire arriver un enfant à terme. La vie de la femme semblait désormais toute grise, sans couleur, sans goût. Ils se séparèrent quelques temps après la mauvaise nouvelle, elle dut faire sa vie ailleurs, totalement déboussolée.

Malgré tout, elle retrouva un métier, celui de parfumeuse. Là, elle semblait un peu moins au fond du trou. Progressivement, elle remonta la pente, et ses collègues pouvaient le voir à vue d’œil. Mais son désir d'être toujours plus riche la poussa au vice; de nombreuses fois, elle tenta le casino, les jeux d'argent, quoi. Mais elle semblait malchanceuse, jamais elle ne toucha le gros lot.

Une petite voix lui disait d'aller voir les scientifiques, car ces derniers semblaient donner une grosse somme d'argent en échange de donner une partie de son corps et surtout de sa vie à la science pour divers tests qu'ils appelaient "hybrides". Elle accepta tout de suite, sans se douter que cet argent, elle en profiterait seulement sous une forme monstrueuse. À la base, cette offre semblait prometteuse mais surtout alléchante, c'est vrai quoi, qui aimerait servir de cobaye pour du beurre? Personne.

Elle se retrouva donc allongée au milieu d'une grande salle blanche, vide, entourée de quelques personnages un peu grossiers. En une simple piqûre, elle s'endormit pour un long moment, le temps de leur laisser de la marge pour la transformer en ce qu'elle est aujourd'hui. Au début, elle ne sentait rien, aucune malformation, juste des cicatrices sur son corps de-çà de-là. Merphis devait retourner au moins une fois par semaine au laboratoire un peu suspect, perdu au milieu de nulle part. Jamais ils ne lui ont expliqué ce qu'ils lui faisaient pendant qu'elle était au monde des rêves. Elle voulait savoir, ils ont préféré la faire taire avec toujours plus d'argent. Tant qu'elle possédait sa petite richesse, au final, elle était contente. Et elle fermait sa gueule.

Ce n'est qu'au bout de quelques mois d'expériences qu'elle commença à ressentir que son corps allait de moins en moins bien. Sa peau semblait s'assombrir, s'assécher, et ses yeux n'étaient plus verts mais gris-violacés. Ses magnifiques yeux la faisaient douter sur l'origine de leurs expériences. Mais l'argent l'aveugla de nouveau, jusqu'au jour où les scientifiques proposèrent à la dame de rester de manière permanente au laboratoire, car leurs tests commençaient à montrer des résultats satisfaisants, et il ne restait plus qu'une dernière ligne droite avant l'accomplissement, peut-être, de leur projet.

Ils disaient souvent qu'ils avaient fait ce genre d'expériences de nombreuses fois, et qu'ils souhaitaient la croiser avec autre chose, un animal un peu plus rare, plus dangereux peut-être. Leur choix fut bien vite fixé; la veuve noire lui irait parfaitement. En plus de ça, l'ADN de ce fameux animal fut lui-même modifié; ils avaient bien réussi à faire des chats aux couleurs exotiques, pourquoi pas un insecte aux couleurs de l'améthyste? Elle se retrouva donc une énième fois sur cette table froide et dure, à subir diverses coupures et piqûres qu'elle ne ressentaient pas voire peu. Elle fut donc croisée avec succès avec une arachnide, mais rien ne la faisait dire qu'elle était une de ces hybrides. Non, elle ressemblait à une humaine comme les autres.

Merphis demeura plusieurs mois dans le silence le plus total, avant de, finalement, tomber gravement malade. Mais ce n'était pas une maladie connue, non, elle commençait à muter dans le sens propre du terme. Elle, qui pensait en avoir finit avec ce maudit laboratoire et empoché un joli petit pactole, dut retourner là-bas. Son hybridation semblait instable, et ses cheveux ne ressemblaient plus à des cheveux comme vous et moi, non, mais plus à des dreadlocks, ou plutôt des pattes d'insecte. Elle ressemblait de moins en moins à la Merphis Yeften que l'on connaît, mais à une chose sans nom. Cela ravivait les scientifiques, mais pas elle, qui voyait son corps ressembler à quelque chose de moins en moins humain. De quoi la dégoûter de toute chose.

Ainsi elle maudit ces hybrides, ces choses nées de la folie humaine. Elle regrettait tant de s'être donnée pour la science, d'avoir gâché sa vie pour une somme d'argent astronomique, d'avoir troqué son humanisme contre une apparence plus monstrueuse, bestiale. Elle n'était plus qu'une erreur instable. Bien qu'avec des vêtements elle ressemble à une humaine comme une autre, à quelques détails près, son corps devenu moitié carapace moitié peau la dégoûtait; elle pouvait parfaitement distinguer ses jolies formes, mais cette monstrueuse carapace veineuse qui semblait avoir fusionnée avec sa chair l'empêchait de pouvoir prendre soin d'elle. Quelle horreur. Personne ne voudrait plus d'elle. Elle continua à exercer son métier de parfumeuse, mais à quel prix? Dès lors qu'elle ne se sentait pas très bien, elle devait s'isoler et laisser la peine passer.

Les expériences ont fait que son corps a toujours autant de mal à réagir avec ce gêne d'araignée dont elle a été croisée. Merphis était souvent prise de malaises. Le peu de choses qu'elle put voir avant de sombrer de façon idiote dans un sommeil plus ou moins long, c'étaient ces espèces de crevasses luisantes un peu partout sur son corps. Et quoi de pire? Qu'elles soient violacées. Elle eut vent que certaines personnes étaient dans le même cas qu'elle, voire pire.

Rien qu'à cause de ça, elle se mit à haïr les hybrides. Pour elle, ces créatures ont vues le jour juste à cause de la soif de pouvoir de l'homme, un peu comme elle, avec sa soif d'argent. Bien qu'elle ait horreur de ces derniers, rien ne lui empêcherait de s'en procurer un qui pourrait la servir et, peut-être, comprendre la souffrance qu'elle dut endurer pour voir ces choses naître de manière... beaucoup plus stable qu'elle.

... En fait, elle est compatissante quant aux autres infectés comme elle. Peu importe comment ils l'ont été, elle sait pertinemment qu'être une sorte d'erreur n'est pas des plus facile à vivre. Mais les vrais hybrides, eux, n'ont droit à aucun cadeau.